Heimatlos
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 Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...

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Kan
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Kan


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MessageSujet: Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...   Par une douce soirée, dans les bois de Bourges... Icon_minitimeSam 30 Mai - 5:23

Kan prépara un grand feu, croisant des bûches pour former une pyramide, et s’installa près de Jusoor après avoir lancé la flambée. Respirant à grande bouffées l’air du soir, fixant les flammèches qui se coulaient entre les tisons, il croisa les doigts et ferma les yeux.
Quand la chaleur du bûcher lui brûla les jambes, quand la lumière fit jour à travers ses yeux clos, il se leva et sans regarder Ju commença à marcher doucement autour du feu, cherchant ses mots. Il se figea lorsque le feu les sépara, se tourna vers elle et commença son récit :


“Je suis né à Reykjavík, un petit village d’Islande, petit mais un des plus gros bourg de l’île : nous étions au moins deux centaines d’hommes. Tout ce dont je me souviens, ce sont ces volcans au loin, les terres fertiles où nous travaillions, et les sources chaudes venant des profondeurs des volcans qui assuraient la douceur de l’air, et donnaient au village son nom de “baie fumante”. Le pays est très différent d’ici... immense et sauvage, il n’y a pas de villes, et en hiver on ne voit presque pas le soleil, alors que l’été la nuit ne tombe jamais. Il n’y a que des pêcheurs là-bas, et, durant les longues veillées des nuits éternelles, l’ennui fait que tous sont aussi un peu poètes et musiciens, les traditions orales y sont très vivaces et nombre de nobles et d’évêques du continent viennent chercher sur notre île des historiens, des précepteurs, des musiciens ou des érudits.
Mes parents étaient de pauvres gens, ma mère me répétait que le vieux boiteux ivrogne qui me servait de père avait été un grand scalde, un poète, et un fier guerrier, et son père un chef puissant; mais tout ce que je voyais était une épave qui nous faisait travailler pour le nourrir, car tout les jours, depuis que je sais marcher, nous allions aux champs, et parfois mon père donnait ma mère à d’autres pour la nuit, il disait respecter en cela les anciennes coutumes de l’hospitalité, mais je sais qu’il en recevait paiement. Un jour, un matin, où nous étions chez un oncle, des Normands, de soi-disant pêcheurs, ont débarqué dans la ferme où nous passions la nuit; après avoir été conviés à partager le repas, ils ont tué tous les hommes de la maison et violé ma mère sur la fosse à feu encore brûlante; et je n’ai pas vu mon père ni se défendre, ni user de sa soi-disant belle langue pour les raisonner. Je ne sais pas quel âge j’avais, je ne le connais pas plus aujourd’hui... mais pas plus de six ans je pense.

Je ne me souviens pas bien de ce jour, du moins pas de ce que j’ai fait. Je crois avoir frappé et mordu, je crois avoir ressenti mon impuissance comme jamais plus depuis, en voyant ces hommes rire de moi alors que je me jetais sur eux au point de me briser la main. Je me souviens de l’homme qui a pris ma mère : il fut tué par un de ses compagnons qui l’a décapité alors qu’il riait; la course de l’épée s’acheva dans la poitrine de ma mère qui se convulsait dans l’âtre. Je me souviens de l’odeur de cheveux et de chair brûlée, du sang qui couvrait mon visage, de la tête de l’homme qui me souriait encore sous son chapeau, brunissant dans les braises aux côtés de ma mère.
Puis ils sont partis, emportant tout ce qu’ils trouvaient, moi compris, et un cousin dont je ne me rappelle rien. Ils nous on mis au fond de leur kaupskip, un drakkar de commerce armé pour la haute mer, entre des tonneaux poisseux, et nous n’en avons pas bougé du voyage. Je crois qu’ils ont suivi les côtes de l’île pendant quelques jours, ils ont continué leurs pillages, ont ramenés des femmes qu’ils jetaient avec nous, et des vivres auxquelles nous n’avions jamais droit... à peine pensaient ils parfois à nous donner de l’eau. Puis nous avons pris la mer, mon cousin est mort, les femmes pleuraient sans cesse, étaient violées sans relâche par ces hommes dont je ne comprenais pas toujours la langue, et ma main me faisait souffrir. Nous n’avions presque rien mangé pendant des jours, nous prenions des coups dès que nous bougions un doigt, et je ne me souviens pas avoir jamais eu l’esprit aussi misérable que durant cette période. Le temps s’écoulait au rythme des vagues, des vents, et je priais Aristote et le Vieillard aux corbeaux de mettre fin à mes jours.
Je crois me souvenir que quand nous sommes arrivés chez les Norrois, ma main était toujours couverte du sang de l’homme qui riait, et je ne pouvais plus la bouger, si bien qu’un vieil homme qui nous a pris chez lui a du me briser les os à nouveau pour la guérir. Je me souviens de sa gentillesse, du moins de l’impression, pour la première fois depuis la mer, d’être face à un de mes semblables, un qui se souciait de moi. Il nous a lavé et nourri, nous a donné de la paille pour dormir avec ses boucs, et nous a gardé ainsi plusieurs jours, venant souvent me parler et me rassurer. Il m’a dit qu’il était un ami et après le départ des hommes de fer, j’en était convaincu; Il m’a dit qu’il allait me confier à un membre éloigné de ma famille... Quand j’y repense, il n’a même pas eu à mentir, tout ces hommes étaient probablement nos cousins, à quelques degrés...”


Kan se retourna, et continua son récit, un léger tremblement dans la voix.

“C’est au marché que nous avons été, une fois que nous nous fûmes relevés de notre statut de bêtes. Je me souviens du bruit, des cris, de la foule. je me souviens d’un homme à la barbe grise, bien que jeune encore, m’emmenant avec lui. Je sais maintenant que j’ai été acheté, je sais aussi que je ne valais pas grand chose, et je crois aujourd’hui que Sven ne m’a pas payé par besoin, mais plutôt par pitié. Une des femmes qui était sur le kaupskip est venue avec nous, et Sven nous a emmené dans une grande halle où des hommes, sa hird et ses serviteurs, festoyaient. Je crois que Sven leur jeta la femme, et leur dit d’en prendre soin, acclamé par des rires et des cornes tendues. Puis il leur dit, je crois, de prendre soin de moi aussi, et ils me souleva et me jeta sur la table. Alors, pendant que des hommes déchiraient les vêtements de la femme, l’un des autres me tendit une corne d’hydromel et me la fit boire. Je bu puis recrachais la moitié du liquide, et mes boyaux avec. Après quoi il me saisit par le col et me mit debout. Et, tour à tour, tous les hommes défilèrent et me cognèrent le ventre en riant. je sais que ce n’était pas par méchanceté, ils devaient faire de moi un homme, mais je passais plusieurs jours sans pouvoir manger ou me tenir debout.

J’ai passé l’hiver dans la halle, et je m’y suis habitué, jusqu’à trouver que j’y était mieux qu’aux champs, même si les fjords glacés de Norvège sont bien plus austères que ma terre natale. On me demandait de nettoyer, de servir les hommes, puis de soigner leurs chevaux. J’étais bien nourri, des restes de leurs repas, j’avais un coin près du feu pour dormir, avec l’obligation de l’entretenir durant la nuit sous peine d’être botté; mais on ne me frappait plus, excepté quand l’un ou l’autre des hommes m’emmenait pour m’apprendre à me battre, et si ça faisait mal, c’était aussi un plaisir pour moi d’être remarqué et accepté par eux. J’étais esclave, mais bien traité, et je crois que Groa, la fille, était aussi bien traitée, même si elle devait se plier aux désirs de hommes.
Et au printemps nous sommes partis. Sven a armé un kaupskip, pardon, un navire marchand, et nous avons navigué vers l’est. Il était commerçant, et ses hommes n’étaient pas tous des bêtes armées. Il y avait aussi parmi eux Yrgrim, un scalde de mon pays, qui avait une voix magnifique, tantôt dragon, tantôt nymphe... Certains soirs en l’écoutant je regardais les étoiles en pensant qu’elles sortaient juste pour l’entendre, et brillaient rien que pour moi. Il y avait deux frères, des nobles qui faisaient chez mon maître leur éducation, ils étaient raffinés et aimaient à se chamailler dans de longues discussions sur les profits à faire sur telle ou telle denrée. Il y avait Sven lui même qui, bien que bourru et dur avec tous, était aussi Vitki et préservait, malgré son baptême Aristotelicien, les traditions des anciennes croyances; il savait lire dans les astres, l’onde et le vent les signes du destin, Yrgrim lui-même l’écoutait quand il contait, et c’est de ces deux là que je tiens tous mes poèmes. Et il y avait Harald et Graup, son neveu et l’ami de celui-ci. Les deux commandaient en son absence, tous deux étaient grands guerriers et admirés des hommes. Graup était sans doute celui qui comptait les plus grands exploits, mais Harald était charismatique et avait la sagesse de son oncle. Enfin, je pourrais te parler des heures de chacun, ils sont devenus mes compagnons, mais ce n’est pas le but de mon récit.”


Il reprit un instant sa respiration, et dit :

“Sven nous a mené sur la route de l’ambre, par Kiev puis vers le sud, pour négocier des pierres contre des peaux, des armes et des poteries. Nous y croisions des marchands de tous pays, et tous se méfiaient de nous, à raison... La base de la négociation Norroise étant de compter les épées. Si le bien convoité était peu protégé, Sven le considérait comme offert, et le prenait en tuant tous ceux qui résistait. Il laissait libres les survivants, après avoir joué de leurs nerfs et les avoir copieusement rabaissés, comme les limaces puantes qu’ils étaient, sous les rires de ses hommes. Parfois, quand un ennemi se montrait valeureux et ne craignait pas la mort, il le laissait aller avec son chargement, tant qu’aucune vie de valeur ne lui avait été ravie. Certains des hommes disaient dans son dos qu’il faisait preuve de lâcheté, qu’il craignait leur vengeance, mais je crois moi qu’il aimait simplement croiser le fer avec eux et voulait les retrouver sur sa route, motivés par la hargne et leur ressentiment à son égard.
Les trois premières années je les accompagnait, puis, un été, je fus malade, et ils me laissèrent, mourant, dans leur halle, avec les femmes. Mais je survécut, et attendit tout l’été de les voir revenir, j’étais impatient. J’ai passé mon temps à discuter avec les femmes et les esclaves des autres Halles, d’humeur bien plus joyeuse que durant les rudes hiver, et compris bien des choses sur notre condition. Nous n’étions pas libres, mais pour autant nous étions des hommes pour nos maîtres, et la plupart étaient bien traités, parfois même avaient la confiance de leur maîtresse de maison. Et quand Sven et ses hommes revinrent, je fus surpris de voir avec quelle joie ils me saluèrent et me donnèrent de ces sempiternelles remarques sur les enfants grandissant. Mais je compris alors qu’ils me voyaient presque comme un homme, et le vécu plus durement quand ils m’entraînèrent tout l’hiver avec plus de violence.

L’été d’après, et les six qui suivirent, j’étais avec eux à nouveau, je préparait le feu, massait les hommes fatigués, entretenait les armes et les bêtes, et m’entraînait dès qu’on se reposait quelques jours. J’avais reçu de Harald un Scramasaxe, une épée courte servant tant pour le combat que pour les travaux, et une lance, et je savais que les hommes attendaient de moi que je m’en serve si le besoin s’en faisait sentir. Je m’y croyais prêt, et lorsque c’est arrivé je ne les ai pas déçu. Moi, par contre, je me suis déçu... je me suis pissé dessus quand le maure m’a attaqué, ma chance m’a protégé et, en tombant à la renverse par peur j’ai pu éviter la courbure de sa grande lame. Lui fut déstabilisé et j’ai, par réflexe, planté mon scram dans son flanc. tous les hommes m’ont acclamé, faisant comme si ils ne sentaient pas mon urine, mais moi elle m’est resté longtemps en mémoire, si bien que pendant mon deuxième combat, l’année d’après, j’étais tétanisé par la peur de perdre à nouveau mes moyens, contradiction s’il en est... et un tartare m’empala l’aine de son sabre. j’ai bien failli perdre une jambe, et j’ai passé le reste du voyage allongé, maudit par tous les hommes de n’être pas à ma tâche et de me rajouter aux leurs...
C’est quand je fus un homme tout à fait, alors que Sven commençait à sentir le poids des ans, et que Graup et Harald dirigeaient la plupart du temps les expéditions, que je me fis réellement remarquer. Nous étions sur les routes, accompagnant un chariot d’ambre. Le commerce était devenu difficile et nous avions fini par faire un marché avec des caravanes : nous protégions les convois par petits groupes contre une partie du chargement. L’affaire s’était jusque là révélée profitable, mais le dernier convoyeur avait décidé de ne pas nous payer. Je faisais partie de ceux qui le suivaient, avec Harald, Leif, Jester, Ragnar, Bjørn et deux autres dont je ne me souviens plus, puissent ils me pardonner. Durant une halte, le marchand nous invita sous sa tente, mais lorsque nous entrèrent, six hommes nous percèrent des traits de leurs arbalètes, abattant tous mes compagnons. Six car ils avaient négligé le jeune serviteur, ou n’avaient pas assez d’armes peut-être... Le temps qu’ils sortent leurs lames, quatre se noyaient dans leur sang, et quand ils virent ma fureur, les deux autres esclaves s’enfuirent en lâchant leurs couteaux. Lorsque je me tournait vers le chef qui nous avait trahît, il était à genoux, face contre terre, négociant sa vie au milieu de flatteries et de gestes de soumission. Je l’ai attrapé par son gras menton, l’ai comprimé et jeté sur le dos, et je lui ai ouvert le ventre et lui ai fourré ses boyaux dans la bouche pour que ce chien s’étrangle avec.”

Disant cela, Kan regardait Jusoor, et ne put s’empêcher de baisser les yeux vers le feu.

“Harald, Leif et Jester étaient encore vivants. Et je pu les ramener au camp de Sven avant qu’ils ne trépassent. C’est ainsi que j’ai gagné ma liberté et que, de ce jour, Sven et les autres m’appelèrent Kannaquetil et me considérèrent comme un frère. Et moi je voyais mon ancien maître comme l’oncle qu’on m’avait présenté en me vendant à lui.
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MessageSujet: Re: Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...   Par une douce soirée, dans les bois de Bourges... Icon_minitimeSam 30 Mai - 5:33

Quand j’avais à peu près vingt ans, au cours d’un hiver particulièrement rude, les hommes partirent en raid sur les îles du sud, bien que l’église et la couronne aient mis fin à ces pratiques,... Laissant au village Sven, qui devenait trop vieux, et leurs familles, je partais avec eux. Les Danes, eux aussi, subissaient la famine, et l’un d’eux, le Jarl økjson, n’ayant que peu d’hommes, eu l’idée de remonter sur nos côtes afin de piller les villages qu’il pensait à raison laissés à l’abandon. Ainsi quand nous fûmes de retour avec nos maigres prises, il ne restait plus grand chose de nos halles, juste une ou deux étaient intactes, les tertres avaient été violés, et les femmes en colère nous racontèrent leurs malheurs et les dernières heures de leur vaillant chef.
Nous fîmes ce que nous pouvions pour offrir à Sven des funérailles dignes de lui, le portant sur une barque, car nous ne pouvions sacrifier le navire restant, et le brûlant avec ses armes et bijoux, les quelques bêtes qui nous restaient, sa femme et ses esclaves tués, en offrande à l’océan comme il l’aurait souhaité. Puis il y a eu un conseil, au cours duquel Graup poussa les hommes à se venger d’økjson, alors que Harald voulait préserver ceux qui restaient et suivre une nouvelle vie. Il pensait que les anciennes traditions de dettes de sang, proscrites désormais par l’église, n’avaient plus leur place dans le monde moderne. La fierté nous poussait tous à la vengeance, mais moi et beaucoup d’autres ne voulions pas de Graup pour chef et nous suivîmes Harald. Laissant le navire aux autres, nous sommes partis à pied, vers les pays saxons, où nous avions entendu dire qu’ils faisaient grand usage de mercenaires. C’est là que ma seconde vie a commencé, et je ne sais ce que sont devenus les autres.”


Kan regarda jusoor, fit un pas vers elle, puis recula et s’assit, de façon à ce que la lumière de la flamme empêche sa bien aimée de trop voir son visage. Il le masqua de ses mains avant de reprendre :

“Je sais que c’est ce récit que tu veux entendre, mais comment te décrire... La bande de brutes que nous étions semblait bien innocente quand nous avons posé le pied dans ces contrées en guerre. nos escarmouches sur les routes commerciales étaient sans commune mesure avec la sauvagerie des combats aux abords de l’empire Germanique. les troupes mercenaires que nous y croisions, la plupart helvètes, étaient composées d’hommes qui n’avaient jamais connu que la guerre, certains se comportaient comme des bêtes, tuant tout ce qui se présentait sur leur route, chevalier, femme ou enfant, ils jouaient avec les chairs et si tu crois que certains les mangent, alors ceux là devaient en être, oui. Lorsque nous fûmes engagés pour notre premier combat, nous rencontrâmes l’une de ces compagnie dans les bois. Ils nous ont accueilli par une volée de flèches, puis ont lâché sur nous des chiens de guerre, rendus fous par leurs maîtres, qui ont littéralement dévoré les visages des premiers à s’avancer vers eux. Le temps que nous les tuions, nous étions encerclés par des hommes hilares qui se jetaient sur nos lances. J’ai vu l’un d’entre eux, empalé sur ma hampe, se tortiller pour atteindre ma gorge... A croire que lui percer le cœur ne suffisait pas à lui ôter la vie, sa force venait de sa haine, il n’avait jamais vécu, son cœur n’avait jamais battu. Après le premier assaut, leur capitaine s’est avancé vers nous et a arrêté ses hommes, il n’a dit que deux phrases en mauvais saxon, expliquant qu’il s’était trompé, que nous étions du même bord, mais n’a pas eu un mot d’excuse ni un regard pour ses hommes qu’il laissait là, nageant dans leur tripes. Harald est entré dans une fureur noire, mais le capitaine s’est retourné et personne chez nous n’a pu bouger, tant ses yeux exprimaient une folie abyssale. Tous nous comprenions que pas un être vivant ne sortirait des bois si nous l’attaquions, il sacrifierait toutes ses troupes pour satisfaire son désir de massacre.

Combattant avec ou contre de tels êtres, notre bande s’est peu à peu transformée, il n’y avait plus tellement de joie aux veillées, les Norrois devenaient sombres, eux qui sont réputés taciturnes... Nous étions épuisés et, au fur et à mesure que les compagnons tombaient, nous recrutions des soldats toujours plus atteints par l’horreur, la démence. Tous avaient vécu la peste ou les sièges, avaient été pris par les seigneurs comme chair sacrificielle sur l’assaut d’une forteresse ou d’un poste de garde. Tous haïssaient la vie et ceux qui la portaient, méprisaient leur chair, jouissaient de chaque instant car il était assurément le dernier... Nous pillâmes des terres dévastées, et je prenais ma part d’obscurité, même si je n’avais pas autant d’entrain que ces fauves... Je me suis souvent cru maudit, j’ai finis par renier mon baptême, croire à ma damnation et refuser la rédemption. Nous marchions sans cesse, dormant dans les bois, dans les fermes que nous croisions, après avoir incendié les champs et tués les habitants, souvent abusé des femmes et parfois torturé les enfants par plaisir. Je préférais les putains aux déchets que laissaient ces bêtes, même si je les payais souvent de mon poing, et je restais en retrait des supplices; mais jamais je n’ai songé à protéger leurs vies.
La compagnie errait de bataille en bataille, et moi je me jetais dans les combats, en paix malgré l’horreur, car au centre de la fureur, emporté par la haine, couvert du sang d’anonymes trophées, il n’y avait plus de peines, plus de regrets, de joie, de rêves et de sentiments, plus qu’un vide envahissant, une symphonie silencieuse, une rage blanche qui ôtait à mon âme toute humanité, et donc tout sentiment d’inhumanité; je n’avais plus que cette nécessité de survivre, de se fendre, parer, trancher, broyer, détruire tout ce qui s’opposait à moi et pouvoir jouir au soir à nouveau de... de quoi? je ne sais, des étoiles que l’on voyait encore parfois, d’une fille capturée dans un village, de vin volé aux curés. Non, en fait, l’après n’avait pas d’importance, j’ai vécu depuis lors pour la sérénité qu’apporte le néant au cœur de la bataille. J’attendais chaque jour le combat, et chaque combat le coup qui m’emporterait.
Cette “rage blanche” est l’apanage des Berserkir, les guerriers fauves d’oddin des traditions. On dit que leur force est décuplée en combat, qu’ils ne ressentent pas la douleur et peuvent se battre encore plusieurs heures après avoir été tués. Je l’ai vu... cet état est obtenu par une potion, mélange d’hydromel, de quelques herbes et d’un champignon, blanc et phallique, dont l’ingestion est censément mortelle... Ceux qui boivent cela deviennent fous et sont capables de soulever un auroch, même s’ils s’en déchirent tous les muscles et se broient les os; ils ne ressentent plus leurs limites. Mais sans cette aspect démentiel de la drogue, certains comme moi atteignent cette transe sans sorcellerie, et avec plus de raison. Avant le combat j’ai peur, mais quand sonne la charge, le monde s’éclipse et le calme m’envahit... Et si je suis blessé, je le ressens comme une gêne, un mauvais fonctionnement de mon corps, mais il n’y a pas de douleur, pas de crainte d’être terrassé, et surtout pas d’autre choix que de frapper et frapper encore jusqu’à ce que du champ de morts n’émane plus que le silence et la paix; alors ma conscience se fond dans l’esprit de la mère des batailles...
Aujourd’hui, quand je pense à la guerre, ce sentiment m’envahit de nouveau, mon cœur s’emballe... Je ne sais pourquoi j’exulte en distribuant la mort, c’est comme si je voulais me venger de chaque être vivant, et m’en donnais à cœur joie sur ceux qui sont volontaires pour mourir pour leur cause... moi je n’ai pas de cause, je veux juste... tuer... et tuer encore pour transcender mon corps.”


Kan perçu le feu qui brûlait en son cœur, sa voix qui se faisait grondante. Il sentit sa gorge se nouer en prenant conscience de ses paroles, de l’impact qu’elles pourraient avoir sur elle. Il décrispa la mâchoire et arrêta son récit, espérant que le brasier qui les séparait avait occulté la lueur de ses propres yeux. Il cru déceler un bref instant, dans la braise, le visage du borgne qui le scrutait. Instinctivement il releva ma tête et observa le ciel, s'attendant à y voir un signe funeste. Il se replia sur lui même, encerclant ses genoux de ses bras et reprit, la voix tremblante, baissant le ton :

“Trois ou quatre ans passèrent avant que la compagnie soit décimée, j’ai fui vers la franche-comté à la mort d’Harald, ai brigandé un peu sur les chemins, jusqu’à ce que je croise l’écossais et sa troupe de corbeaux. D’autres maudits comme moi, plus ou moins des francs, plus ou moins de partout ailleurs, ils m’ont accepté et j’en était heureux. Ils étaient sans morale comme peuvent l’être ceux qui veulent survivre à la guerre, contrairement à ce que disent la plupart des gentils soldats de l’Ost. Mais ceux là connaissaient l’honneur et la camaraderie, et ça les rendait d’autant plus efficace au combat. Et, pour ça, ils l’étaient! Tous étaient individuellement bons guerriers, et la petite troupe était réputée pour subir peu de perte au cours des batailles. Les combats en soit furent les mêmes, mais dans un pays moins ravagé par la guerre. Et c’est avec eux que j’ai appris vos dialectes.
Nous étions souvent trahis par nos employeurs, aussi le mot d’ordre était il de profiter au mieux de leurs terres avant de devoir fuir, et il était fréquent pour nous de se servir grandement sur les villages que nous devions protéger... Oh, ils étaient protégés de l’ennemi, mais nous nous soucions plus des bâtiments, d’en préserver l’apparence, que de ses habitants. Tout repos était une occasion de goûter aux femmes et aux réserves du village. Les femmes n’étaient pas forcées, non, mais souvent celles qui se refusaient étaient rouées de coups, et pour les maris trop protecteurs, on trouvait toujours un prétexte pour leur trancher la gorge... soit ils étaient félons, soit ils avaient gravement entaché notre honneur par des paroles que nul n’avait entendu, mais dont nul n’oserait douter. Le principe de la terreur... soyez un monstre et tout le monde vous sourit...”


Désormais, la voix n’est presque plus qu’un murmure derrière le crépitement des flammes faiblissantes :

“Et puis nouveau combat en Eluveitie, perte de mes compagnons, et retraite en bourgogne, je te l’ai déjà conté, et le détaillerais bien plus encore... Si je n’étais si épuisé par mon récit..."

Kan regarda, par dessus le feu mourant, Jusoor. La lumière ne suffisait plus à le masquer. Sentant ses yeux humides, il se força à sourire.

“J’ai envie de ranimer mon cœur, que tu me parles à ton tour de toi ou de tes rêves, que tu me rassure et puisse encore m’aimer malgré tout ça...”

Puis il enfouit tout à fait sa tête entre ses bras et posa le front sur ses genoux, attendant son jugement, priant secrètement la Walkyrie de lui être indulgente.
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MessageSujet: Re: Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...   Par une douce soirée, dans les bois de Bourges... Icon_minitimeMer 3 Juin - 13:08

C'était une de ces soirées que Ju affectionnait particulièrement, surtout en la compagnie de Kan. La nuit était douce et le silence parfois tout juste entrecoupé du chant d'un grillon et du bruit d'une paire d'ailes dans le ciel. Elle regardait Kanallumer un feu, consciencieusement, et voir ses mouvements assurés et précis la faisait sourire.
Les braises prises, elle s'installa plus confortablement et accueillit Kan à ses côtés. Avce tendresse, elle le regarda fermer les yeux et s'installer pour la nuit. Enfin c'est ce qu'elle croyait jusqu'à ce qu'elle soit surprise de le voir se relever avec peine au bout de quelques minutes, comme s'il trainait un poids. Elle se redressa elle aussi et sentit son regard sur elle alors qu'il avait déja contourné le feu. Il semblait avoir perdu toute assurance, toute certitude. Le charme de la soirée était brisé dans le coeur de Ju. Elle attendit, sans comprendre, mais l'intuition se faisait persistante : un moment lourd de sens allait débuter.

Kan ouvrit la bouche et commença à se raconter. Elle voyait bien la difficulté qu'il avait ce soir à s'exprimer, elle aurait voulu qu'il cesse mais il en avait sans nul doute besoin, alors elle n'intervint pas et l'écouta avec attention. Elle entendit son enfance, puis l'arrivée des hommes chez l'oncle, cette soirée de tortures. Malgré son coeur affolé, la petite avait blémi. Les images se dessinaient devant elle, images qu'elle n'aurait pas souhaité voir... elle arrivait même à sentir l'odeur de peau brulée et entendre les cris lointains d'une femme. Elle vit l'enfant, devenu son Kan, couvert de sang et elle frémit.

Kan ne s'arrêtait pas de parler... Elle sentait la terre tanguer sous elle comme le navire avait pu le faire. Un vieil homme, nouvelle image devant les yeux de la petite qui essayait d'occulter les sentiments écoeurants qui l'étreignaient. Elle leva des yeux inquiets sur Kan quand il se tut et le vit se détourner d'elle. Elle resta silencieuse. La femme jetée à ces êtres sanguinaires, la peur qu'elle avait du ressentir, réveilla celle de Ju pourtant trop bien enfouie. Elle sentit un frisson métallique parcourir sa colonne, mais se tut cette fois encore. Il racontait maintenant cette "famille" qui avait fait son éducation. Famille qu'elle n'osait caractériser à haute voix. La main qui lui était si douce contre sa joue qui ôte la vie pour la première fois et sa première blessure.

Puis vint le moment où son Kan était devenu un homme libre, en profanant un mort et celui où elle, elle avait senti son coeur se refroidir... Elle n'osait plus le regarder, bien qu'il tenta de le faire un moment, avant de baisser lui aussi les yeux. Elle voulait lui crier d'arrêter de parler, se boucher les oreilles, mais elle ne le fit rien. Seul le feu que tous deux regardaient, n'osant plus soutenir le regarde de l'autre, semblait vivre ici encore...

Kan reprit son récit et Ju était comme absente, mortifiée, bien que chaque mot de son tendre venait se graver en son esprit.
Sven, l'oncle devenu Maître et finalement aimé comme un oncle était mort. Sans doute de la même façon qu'il avait du 100 fois tuer. Elle sentit avec un frémissement le regard de Kan sur elle et son coeur s'emballa alors qu'elle entendit un bruissement de feuilles vers elle. Levant à peine les yeux, elle le vit reculer et sans en connaître la raison, sentit un certain soulagement et se détesta pour cela.


Citation :
“Je sais que c’est ce récit que tu veux entendre, mais comment te décrire...

Voila que maintenant il y avait un récit qu'elle voulait entendre. Non. Elle ne voulait plus rien entendre... ni les rencontres finies dans un bain de sang, ni les horreurs commises sur des innocents, hommes, femmes, vieillards ou enfants, ni les putains qu'il avait frappées, ni même l'imaginer utiliser une de ces pauvres paysannes et lui retirer toute sa dignité avec violence.
Elle comprenait la rage qui engendre le détachement, elle avait vécu avec, bien qu'elle ne fut pas de son clan. Elle l'entendit parler de ses combats et sa voix s'animer et devenir grondante, terrifiante, et au fur et à mesure de ses exclamations, elle sentit son coeur se serrer et ses mains se refroidir, d'entendre la passion dans sa voix. Ju leva les yeux sur lui et recula, sans même s'en apercevoir, automatisme de défense sans doute.

Elle ne le quittait plus des yeux désormais... il était devenu un étranger et ça lui faisait mal.

Il finit son récit sur son arrivée en Franche-Comté, les pillages, les violences commises encore et toujours. Ju sentait douloureusement ce fossé, en lieu et place du feu qui s'éteignait et qui n'avait de cesse de les séparer, un peu plus à chaque mot qu'il prononçait. Vint enfin sa retraite en Bourgogne, Ju émergeait de son cauchemar éveillée.

Elle regarda son sourire fatigué, mais ne trouva la force de lui répondre. C'était son coeur à elle qui était fatigué là, voire amorphe. Bouleversée, tremblante et blême, elle se sentait seule, face à un inconnu. Elle était passée par 1000 émotions, plus qu'elle ne pouvait en supporter sans doute. Son esprit était lavé et juste une veille protectrice ne la détachait pas tout à fait de la réalité. Elle devenait intouchable quand elle le vit plus qu'elle ne l'entendit lui adresser ces mots :


Citation :
“J’ai envie de ranimer mon cœur, que tu me parles à ton tour de toi ou de tes rêves, que tu me rassure et puisse encore m’aimer malgré tout ça...”

Puis il se couvrit de ses bras. Au bout d'une minute, Ju se sentit mal, et bien qu'inquiète qu'il profite de son moment de faiblesse, ne put s'empêcher de se tourner de côté et de rendre son maigre repas.
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MessageSujet: Re: Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...   Par une douce soirée, dans les bois de Bourges... Icon_minitimeMer 3 Juin - 13:42

Kan se liquéfia en entendant les sons venant de la direction où se tenait jusoor. La sentence était tombée et elle puait la bile...
Son coeur s'effritait, lui criait qu'il était un imbécile d'avoir cru pouvoir changer de vie, d'avoir cru en l'amour, d'avoir cru que des gens du commun puissent le regarder sans haine et que Cristos pourraient lui pardonner. Voilà tout ce que méritent les monstres comme lui : bile, merde, crachats; que les enfants lui pisse sur les chausses, que les adultes le regardent écœurés, jusqu'au jour où son âme damnée rejoindrait l'enfer.
Kan ne bougeait pas, n'entendait plus sa respiration, ni ses pensées... d'une lente plongée dans le ginnungagap, son esprit effleurait le néant. Il voulait s'enfuir en courant, mais ne savait plus où étaient ses jambes, ne se sentait pas capable de déplier ses bras.
Alors il mit fin à toute pensée, toute réflexion, toute envie, s'oublia en lui-même pour redonner force à son corps. Tel un fantôme il se dressa, se tourna et partit d'un pas lent au plus profond des bois, sentant l'eau ruisseler sur ses joues, sans plus se rappeler le nom de "larmes".
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MessageSujet: Re: Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...   Par une douce soirée, dans les bois de Bourges... Icon_minitimeMar 9 Juin - 0:18

Cet écœurement qui avait bouleversé ses entrailles était enfin loin. Depuis quelques minutes les crampes se raréfiaient jusqu'à une dernière à l'instant. A genoux, face contre terre, Ju passa une main sur son front froid et humide et repoussa une mèche de cheveux. Elle essuya les larmes qui zébraient ses joues mais n'en connaissait pas la cause. L'effort du faible ? La vérité crue du monde dans lequel elle évoluait ? L'incapacité à le protéger ?

Malgré son récit, malgré ces images de violence crûe qui avaient aveuglé Ju, il n'en restait pas moins que "SON" Kan n'était plus Kannaquetil, le sans nom... Elle l'aimait, parce qu'il n'était que lui, parce qu'il la comprenait, parce qu'il l'aimait malgré ce qu'elle était.
Comme elle ne l'avait pas vu venir l'innocente... et elle l'aimait sans limite.

Elle se redressa sur ses genoux et prit une profonde inspiration qui la rafraîchit bien que la nuit fut douce. Tête levée vers la voute étoilée, elle se réappropriait le monde. Le temps s'arrêta.

D'abord la vision : la lueur blême de la lune haute dessinait des ombres autour de Ju et caressait de sa lumière faiblarde les arbres, buissons, qui entouraient la petite. Puis revint le toucher : elle devina, contre la peau laiteuse de son bras nu, l'agitation de feuilles voisines provoquée par la brise l'espace d'une seconde. Enfin, la réflexion : l'herbe sous elle commençait à dégager une fraîcheur humide, dans laquelle elle plongea ses mains, puisqu'elle ne pouvait y pénétrer entièrement, afin de se laver des sentiments houleux qui l'avaient assaillie au cours de cette soirée.

Manquait l'ouïe... aucun bruit ne lui parvenait. Pas un grillon, pas un cri d'oiseau pour déchirer le silence, pas un bruissement de feuilles, et surtout, aucun bruit de pas vers elle et nul cliquetis d'armes.
Ju quitta vivement la lune des yeux et ne sut voir qu'un rougeoiement de braises mourantes. Elle fouilla la nuit du regard, à la recherche de cette silhouette devenue si familière... et tant chérie. Nulle trace... A nouveau son cœur qui la serre douloureusement.

D'un élan Ju bondit sur ses pieds et fit le tour de la clairière où ils avaient décidés de passer la nuit. Qu'il aurait été doux que ce soit une de ces nuits, comme celles qui l'avaient précédée, juste lui et elle, et le monde pour eux... Elle se mordit les joues et accéléra le pas.
Elle s'abstint de tout bruit pendant sa recherche, foulant le sol comme le faisaient les chats pendant leurs chasses, et allant même jusqu'à retenir son souffle pour ne pas passer à côté d'un bruissement de feuilles ou du craquement d'une brindille.
Puis la clairière fut bouclée, ne lui restaient plus que les bois. Ses yeux inquiets cherchaient, derrière la lisière des arbres, à percer l'obscurité qui s'étalait comme un édredon couleur nuit dans les sous-bois. Il serait bien agréable de s'y jeter avec lui et elle tenait là un nouveau rêve pour ce "nous" qu'ils avaient créé ou subit, sans vraiment le voir venir. Mais cela n'anima pas un sourire, même ténu, sur son visage. Pour l'heure elle était là, immobile devant ces arbres bien trop grands pour ne pas être effrayants sous la lune pâle. Sa cruelle absence lui faisait battre un coeur de plus en plus rongé par l'inquiétude. Elle serra les poings et ferma les yeux avant de s'engouffrer dans les sous-bois.

Une racine traîtresse sur laquelle elle avait failli trébucher et qui lui aurait presque arraché une exclamation de douleur, des feuilles qui l'avaient giflée, des ronces qui l'avaient écorchée en laissant perler une ou deux gouttes de sang sur ses bras nus... et pas de Kan.

Ju, épuisée et sans souffle, s'agenouilla à même la mousse humide qui emplissait l'air de son odeur de renouveau, de printemps. Au bout de quelques minutes elle leva son visage blême vers la lune, comme si elle avait à lui formuler une prière et constata avec détachement que cette dernière avait déja bien progressé dans sa fuite du soleil.

Il lui semblait avoir parcouru les sous-bois en long en large et en travers, ses jambes étaient fatiguées, ses oreilles bourdonnaient de ce silence assourdissant, son esprit se languissait d'entendre la voix de Kan derrière elle.
Elle n'avait pas osé l'appeler, ni même murmurer son nom. Sa voix, blanchie d'inquiétude, n'aurait pas porté, et ses lèvres, mordues de nervosité, en garderaient longtemps douloureux souvenir.
Son esprit n'était pas laissé pour compte. Assailli de questions qui n'avaient de cesse de revenir le tourmenter, il s'effritait et perdait toute efficacité. La culpabilité l'instillait, teintant de regrets amers la moindre faille, ne laissant aucun optimisme à Ju.


*Que pouvait ressentir son Kan ?... Comment pouvait-il interpréter sa réaction ?... Doutait-il de l'affection qu'elle lui témoignait ?... L'avait-elle blessé ?... Croyait-il qu'elle ne le considérait plus que comme une bête alors qu'elle n'avait jamais autant aimé un homme ?... Le reverrait-elle un jour ?...*

Ju se serait frappée si elle en avait eu la force, elle l'avait perdu. Où pouvait-il être ?

Elle n'entendait plus, ne voyait plus, découragée. Il n'était plus là. Elle se releva, insensible à ce qui l'entourait et remit un pied devant l'autre. Au bord d'un cours d'eau qui lui barrait la route, elle s'arrêta et regarda longuement le ruban brillant de lune s'écouler sous ses pieds avant d'y plonger les mains pour se rafraîchir. Elle ne l'abandonnerait pas, ils avaient besoin l'un de l'autre. Ils pouvaient se reconstruire, mais ensemble...
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MessageSujet: Re: Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...   Par une douce soirée, dans les bois de Bourges... Icon_minitimeMar 9 Juin - 3:09

Kan marchait depuis un moment sans voir ses pas, le peu d'attention qu'il portait sur le monde l'empêchait tout juste d'éviter les branches basses; Il n'était qu'absence, sentait un vide qui étouffait une rage irraisonnée au creux de son ventre, un souffle brûlant en quête d'un lieu au plus sombre pour se répandre en lui.
Il s'éloignait, désirant revenir sur ses pas, désirant plus encore entendre ceux de Jusoor. Mais il ne pouvait se montrer à elle ainsi, ne pouvait lui révéler cet abîme, tant qu'il ne saurait le nommer. Il abolit ces pensées comme les autres. Il était brisé, réduit à néant, Kan était inconscient, assomé par le choc. Ansgar était seul dans les bois, il errait en flammes, fuyait la bataille pour se réfugier sur le kaupskip.

Marchant sur une mer d'épines, l'enfant s'écorchait les chevilles, courait entre les arbres en évitant les racines. Il pouvait sentir derrière lui le souffle du loup et voyaient le sourire moqueur qui se dessinait sur les arbres. Chacun de ces êtres tendait ses racines pour l'agripper, tous se moquaient de lui, moquaient ses ancêtres, sa faiblesse et la pâleur de son étoile. Les oiseaux riaient mais il ne les comprenait pas, il suivait aveuglément le corbeau jusqu'à voir au loin le mât du navire. Un de ces grands arbres s'interposa, tendant sa branche jusqu'à lui. L'enfant ardent bondit, tendit la flamme et brisa de ses deux bras le nœud du hêtre dont les feuilles frémirent, faisant entendre les incantations du vent, des phrases de malheur qu'il ne pouvait saisir... La douleur lui chauffait les bras, attisant le brasier.
Il sentait à présent la mer sous ses pieds, il approchait. Courant sur l'eau il eut tôt fait de rejoindre le kaupskip, il voyait les marins affolés sauter par dessus bord, seul le capitaine restait droit alors que les flots submergeaient son navire. Ansgar bondit sur lui, mais il ne bougea pas et le repoussa d'un geste. Il se roula sur le pont, pataugeant dans l'eau, et se tourna vers son adversaire qui le fixai en souriant. Avait-il ce sourire lorsqu'il avait transpercé sa mère ? avait-il ses longs bras noueux, ses racines profondément plongées dans le torrent ?

Kan se réveilla un instant avant de sentir une vague l'envahir et le plonger dans un monde de silence... Qu'importe les doutes, Le feu brûlait et voulait sortir.
Il n'y avait personne, pas un animal pour le voir, pas un homme pour subir sa rage, et de rage, il n'en avait que contre lui... Il frappa l'écorce du vieil arbre de ses poings, sentant l'aubier s'enfoncer chaque fois qu'un éclair de douleur réveillait sa conscience, offrant des lambeaux de sa peau contre des éclats de celle de sa victime. Il frappa jusqu'à avoir consumé le feu qui l'habitait et, quand il commença à sentir la douleur dans ses mains, le vieux tronc craqua et chut dans le torrent, l'emportant dans ses racines.
Il sentit alors le froid, il sentit la douleur de ses côtes et de ses lèvres qui avaient heurté le tronc, il n'arrivait pas à inspirer, et parvint tout juste à se dégager du vieil arbre avant de manquer d'air. Une branche lui avait tordu la cheville, du sang lui coulait dans les yeux, et ses mains le faisaient souffrir. Il flottait doucement sur l'eau, se laissait porter, séchant ses propres larmes qui tournaient au rire. Il n'y avait toujours aucune pensée construite : Les hurlements d'un enfant, les mots baveux d'un mourant, et la douleur qui s'insinuait, ramenant dans son sillage l'écho de la voix de Kan, subitement au cœur de son esprit.
La bête blessée heurta la berge, Kan se hissa contre un arbre, s'assit contre son tronc, écouta le vent. Il sentait la brûlure sourde émanant de ses membres, rien qui lui soit trop douloureux, mais qui le rappelaient à la vie. Il riait à présent, se riait de lui comme tout être devait désormais le faire. L'arbre derrière lui se penchait pour mieux voir le monstre au cœur de beurre, l'imbécile qui s'écorchait bras et visage en affrontant des souches. La mélancolie le reprit alors qu'il priait silencieusement la forêt de lui pardonner son sacrilège. Il conjura les arbres au calme, confiant au saule son malheur afin qu'il le garde pour lui, le scella de ses larmes. Puis il alla vers la rivière, s'y purifia le corps et l'âme, et reprit sa marche ainsi que son esprit.

Il suivit la rivière, grelottant de froid; Il retournait une seule et même pensée, qu'il ne pouvait cependant qu'effleurer; elle concernait ju, elle tournait autour d'elle, comme tout ce qu'il voulait être.
Pourquoi avoir répondu à ses demandes ? Pourquoi avait-il raconté ça ? Pourquoi avoir ainsi tout gâché ? Et pourquoi sa réaction l'avait elle ainsi projeté à demi dans la tombe ?
Il la croyait quand elle disait qu'ils étaient tout deux des monstres, qu'ils se soigneraient ensemble, il pensait être compris, mais qu'avait elle cru ? Qu'il avait été un vilain garnement, qu'il avait détroussé des souris, tué quelques chats et déshonoré des abeilles ? La fillette ne connaissait pas la guerre, n'avait aucune idée de sa vie; elle avait dû, comme les jeunes pucelles, imaginer de beaux chevaliers plus brillants que le soleil, des hordes de libérateurs raffinés et...
Non, qu'importe ce qui avait provoqué son dégoût, Kan voulait juste la retrouver, être avec elle... peut être lui pardonnerait-elle maintenant qu'il lui en avait dit autant qu'il le pouvait sur lui ? Ou peut être ne voyait-elle plus qu'un monstre derrière son visage... Et qui plus est un monstre qui avait fui...

Il suivait la rivière, d'un pas hésitant, cherchant la clairière et cependant soulagé de ne pas la trouver. il voulait retrouver son amour, mais ne savait quoi lui dire pour se faire pardonner de l'avoir laissée seule, et d'être celui qu'il était. Ces deux fautes étaient impardonnables, il le savait; Il était un monstre, et il était désormais un lâche aussi. Il s'agenouilla dans la rivière, y plongea ses mains, et resta ainsi un moment à observer les filets d'eau argentés qui glissaient entre ses poignets. Il fit à nouveau le vide en lui et écouta la lamentation du vent avant de glisser sous l'onde une main, les doigts écartés devant ses yeux, cherchant d'un regard absent les reflets de la lune sur les crêtes des vaguelettes formées par son intrusion dans le cours des flots. Le chemin, la peur, la lumière en sortirent aussi clairement que dans la vasque d'un oracle, l'amour les liait. Il suivit du regard les runes qui s'écoulaient en longs rubans entre les racines des arbres, Il perçu un instant le fil qu'elles formaient désormais, le suivit, et son regard se porta vers les étoiles.
Un bruit devant lui attira son attention, révélant sous la lune Jusoor plongeant ses mains dans l'eau. Il se redressa vivement, les genoux toujours dans le lit de la rivière, et ouvrit la bouche pour l'appeler, mais la terreur et la pitié qu'il s'inspirait lui nouaient la gorge et seul un son étouffé en sortit : "... aim...", une plainte qui fit honte à la lune elle-même, qui attrapa alors un nuage et s'en couvrit la vue.
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MessageSujet: Re: Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...   Par une douce soirée, dans les bois de Bourges... Icon_minitimeJeu 16 Juil - 11:33

Un nuage qui assombrit l'éclat de la lune, et incidemment, l'eau qui passe entre ses mains devient noire. La petite la regardait s'assombrir et à cette vision désagréable, elle se sent un frisson dans le coeur, un air glacial qui l'enrobe, une sueur froide le long de son échine... Ju était terrorisée et sortit vivement ses mains du liquide devenu comme brûlant. Elle ignorait tout de cet effroi qui l'avait envahie. Cette eau subitement si noire était telle détentrice d'une vérité ? Y avait-il prophétie ?

Ju se redressa et fit quelques pas en arrière sans la quitter des yeux. Elle pensait à Kan, où était-il, que faisait-il ? Elle repoussa l'idée de cette eau noire qui instillait en elle un pressentiment douloureux... alors elle murmura son nom à voix basse, comme dans une prière.
Toutes ses sensations étaient irraisonnées, irréfléchies et inattendues et pourtant elles la dévastaient si bien... Son coeur battait la chamade, sa peau était blanche et froide. La petite n'osait plus bouger que pour s'éloigner encore et encore et son dos heurta un tronc d'arbre gros comme deux fois elle. Ju se laissa glisser le long, jusqu'à se retrouver assise sur ses talons. Elle raccrochait sa pensée aux souvenirs, Kan qui la serrait dans ses bras près du feu, sa voix qui lui murmurait les contes qu'elle affectionnait tant, ses baisers accents de vérité... Ses yeux étaient rivés sur l'eau noire quand elle l'appela d'une voix où perçait l'effroi :


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MessageSujet: Re: Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...   Par une douce soirée, dans les bois de Bourges... Icon_minitimeMer 29 Juil - 6:45


Il prit une grande inspiration avant de se redresser péniblement. les genoux tremblant. Il tourna les yeux dans sa direction mais la honte et la peur instillaient jusque dans son regard une envie irrépressible de fuite. Il reporta son attention sur l'eau qui lui glaçait les jambes.

La lune se dévoilait à nouveau, faisant danser les scintillantes stries des flots, nimbant de lumière les longs rubans qui filaient entre les doigts de Jusoor avant de venir encercler ses chevilles. Ainsi les tisserandes resserraient leur toile, et l’oeil de la nuit était ce soir celui des trois nornes. Celui, unique, qu’elles se passent tour à tour pour observer les mortels.

Kan...

Une lourdeur sans précédents, une paralysie absolue de sa gorge, ses jambes et ses bras; du plomb coulait dans ses veines, mais à son nom kan le sentit entrer en fusion, circuler, brûlant, le ramener à la vie à travers une douleur sans nom.

C’était lui, ou pouvait encore l’être, trois lettres comme les trois qui composent son destin : passé, présent et à venir.

Qu’y aurait-il vu, lui, le Vitki Sven?
Kenaz-Ansuz-Naudhiz, le sage, le guide et le fléau des dieux, ou encore la puissance qui oscille entre la lumière et la destruction.
Ou simplement le reflet de son âme dans les yeux de Ju...

Il pouvait s’en draper, faire de ce doux nom sa peau, accepter sa faiblesse et sa fin inéluctable, et briser toutes ces lettres inutiles, son armure, pour recevoir la lumière.

Mettre son cœur à nu... Il l’avait déjà fait. Il ne pouvait plus reculer, n’avait plus nulle part où aller. Sans nom il serait alors, rien qu’une ombre d’Ansgar, un loup ivre de sang et affaibli par l’amour.

Il fixa l’œil de la nuit et le vit s’assombrir; pas d’avenir sous cette forme, Ansgar était mort il y a longtemps, et ce soir kannaquetil devait le suivre. S’il tentait d’échapper à son destin le chasseur l’abattrait demain, à moins qu’il ne se laisse simplement mourir, une fois loin d’elle.

Il fixait toujours l’œil, jusqu’à se voir dedans. Son esprit cherchait au-delà de l’astre celles qui savent toutes les destinées des hommes. bras écartés, paumes offertes au vent, il poussa une plainte monotone, qui dura jusqu’à ce que ses oreilles en bourdonnent
Il cru alors percevoir les fils qui le liaient au monde, se déroulant bien au-delà des étoiles. Tous avaient la couleur de la robe de Jusoor, et tous passaient entre ses doigts. Car elle seule connaissait son nom, et avait ainsi tout pouvoir sur lui.

Il ouvrit les yeux et la vit. Il ne pouvait que deviner sa forme contre l’arbre, il ne voyait pas ses yeux, mais elle le regardait, la surprise se lisait dans son mouvement.
Entre ses doigts glissaient encore les fils qui le liaient à elle; huit en tout, autant de choix possibles, et pourtant aucun qui ne fut dans ses mains.
Qu'importe la peur ou la honte, il n'y aurait plus de vie sans elle tant que la lune éclairerait ses nuits.

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MessageSujet: Re: Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...   Par une douce soirée, dans les bois de Bourges... Icon_minitimeJeu 30 Juil - 4:01

Kan lécha le sang qui coulait sur ses lèvres et vint à elle par la rivière.
Chaque pas était pour lui un acte sacré qui le réconciliait avec son destin, chaque bruissement de l’eau se faisait l’écho de son désir, chaque regard vers elle lui faisait oublier sa honte.

Il se tînt finalement devant elle, raide et douloureux. Elle regardait vers lui, les yeux vides, mais semblait ne pas le voir.
Alors il se laissa choir sur les genoux et, se penchant en avant, tendit une main glacée vers son bras. Effleurant sa peau, ses doigts rencontrèrent une épine qui y était plantée, et à cette sensation Jusoor frémit, et rejoignit le monde où il se tenait.

Un long moment se passa en silence, Kan sentait le regard de la lune dans son dos, et celui de Ju dans le sien, sans pouvoir le déchiffrer. Ni l’un ni l’autre n’osaient bouger un cil, jusqu’à ce que, dans un ultime effort, kan se glisse en avant vers elle pour se blottir contre son sein, retenant les sanglots de l’enfant qu’il entendait hurler au fond de lui.
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MessageSujet: Re: Par une douce soirée, dans les bois de Bourges...   Par une douce soirée, dans les bois de Bourges... Icon_minitimeMer 5 Aoû - 23:05

Citation :
Kan...
Une plainte emportée par le vent et Ju ne s'en était pas aperçu. Elle l'avait à peine entendue d'ailleurs. Sa terreur était telle qu'elle ne voyait pas le ruban noir plus loin, bien qu'elle ne l'ai pas quitté des yeux. L'eau froide et douloureuse avait combattu sa volonté propre et réussi à la vaincre. Elle était si tourmentée qu'aucun raisonnement sain ne pouvait naître de son esprit parti dans une course folle.

*plop... plop...*

L'eau était là, quelques mètres n'avaient suffit pour la protéger. Les tourments venaient s'écraser contre sa raison comme les vagues d'un océan furieux contre des rochers. Elle gardait la douloureuse sensation que chaque recoin, chaque interstice de son cerveau avait été investi par l'eau glaciale, noyant ainsi tous les jolis rêves qu'elle essayait de sauvegarder et faire croître dans son Jardin des Espoirs. Une nouvelle sensation de brûlure froide le long de son échine.

Ju avait le souffle court mais ne s'entendait respirer ni ne sentait le mouvement affolé de sa poitrine. Elle se savait là, clouée à cet arbre comme une chouette clouée à une porte, mais son esprit était ailleurs. Lentement, sans bruit et sans le réaliser, elle avait glissé dans l'obscurité et ne savait retrouver son chemin. Malgré l'immobilisme apparent de ses membres, comme si la vie s'était échappée d'elle, son esprit était parti dans une course folle. Du noir, rien que du noir. Pas de gamine les bras levés vers le soleil, pas de Seisan...

Une caresse glaciale sur sa peau... *suite logique... sans doute cette inquiétude froide finissait de remplir tout son être en commençant par ses bras ?*

*plop... plop...*

L'insensibilité était redevenue telle qu'elle ne sentait plus la ruguosité du tronc au travers de sa chemise élimée. Elle ne voyait pas la lune, ni ne frémissait sous la bise de nuit qui s'était levée. Aucun son ne la sortait de sa torpeur. L'esprit de Ju, usé, cherchait et cherchait dans chaque recoin un réconfort, un souvenir brillant comme mille soleils... Il n'était pas là, le Soleil qu'elle recherchait et qui avait dit avoir fini sa course...

*aïe* Etonnament, la petite frémit sous le piquant et cligna des yeux à maintes reprises. Marche arrière, son esprit réintègra la nuit juste baignée d'une lueur blafarde, malaise soudain, tout allait trop vite, Ju dut s'appuyer sur le tronc rugueux. Il était là... *quel joli rêve, aurais-je réussi à en sauvegarder un ?*

Nouveaux clignements d'yeux, puis un regard échangé aussi long qu'un siècle, sans un mot, sans un bruit. Ju n'entendait pas l'écoulement du sablier de sa vie à cet instant. Tout s'était arrêté... Jusqu'à ce qu'un soupir qui n'était pas le sien se fasse entendre et qu'un poids inattendu se blotisse contre son coeur. Une minute hagarde, Ju finit par refermer ses bras sur ce corps malmené et, poussée par un instinct, sema dans les cheveux noirs indociles une multitude de baisers. Des baisers qu'elle ne connaissait pas, qui n'avaient jamais eu ce goût.
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